Thèses de la TMI sur la crise climatique Share TweetAlors que le dérèglement climatique fait peser une menace colossale sur l’humanité, les mobilisations se multiplient (à l’initiative de la jeunesse, notamment) pour défendre l’environnement. Nous affirmons que seule la transformation socialiste de la société, avec la mise en place d’une économie démocratiquement planifiée par les travailleurs, en harmonie avec la planète, pourra empêcher la catastrophe d’advenir. Ce document, rédigé par la Tendance Marxiste Internationale, détaille notre programme révolutionnaire de lutte contre la crise écologique. Notez que nous discuterons de la crise climatique lors de l’Ecole marxiste internationale qui se tiendra en ligne du 25 au 28 juillet 2020 – Inscrivez-vous ![Source] L’attention du monde entier est aujourd’hui tournée vers le combat contre la pandémie de COVID-19. Mais, une fois ce danger plus ou moins écarté, une autre menace – plus terrible encore – se dressera face à nous : le dérèglement climatique. Les forêts tropicales s’embrasent. De gigantesques incendies ravagent l’Australie et la Californie. Des inondations dévastent l’Indonésie et le Bangladesh. Des îles et des côtes entières sont rapidement submergées. La sécheresse et la famine poussent des millions de réfugiés à l’exil. Chaque été, les canicules en Europe tuent des milliers de personnes. Des espèces disparaissent tous les jours de la surface de notre planète. La crise climatique n’est pas une menace hypothétique pour les générations futures : c’est une véritable catastrophe, qui se produit actuellement sous nos yeux. Des mouvements massifs de jeunes, d’étudiants, de lycéens se dressent face à cette menace. « The oceans are rising and so are we» [les océans montent et nous nous soulevons], pouvait-on lire sur des pancartes à Londres lors d’un rassemblement. En septembre 2019, environ six millions de personnes ont pris part à la grève mondiale pour le climat initiée par le collectif « Fridays for future». Les grandes villes des États-Unis, du Canada, d’Allemagne, d’Italie et du Royaume-Uni ont été le théâtre d’immenses manifestations, rassemblant des centaines de milliers de militants. Le capitalisme tue la planète. Telle est la conclusion que tirent, à raison, de nombreux militants, réunis autour de mots d’ordre comme « changer le système, pas le climat », ou « la planète avant le profit ». C’est bien ce mode de production – avec son insatiable soif de profit – qui est responsable de la destruction de l’environnement, de l’effondrement de la biodiversité, de la pollution de l’air que nous respirons et de l’eau que nous buvons. Sous le capitalisme, ce sont les grandes fortunes qui décident de quoi produire et dans quelles conditions, sans suivre de plan préétabli. Notre économie est dirigée par la prétendue « main invisible », c’est-à-dire abandonnée à l’anarchie du marché. Toute tentative de régulation environnementale est aussitôt contournée, voire piétinée, par les entreprises soucieuses de réduire leurs coûts de production, de dépasser leurs concurrents et de gagner de nouveaux débouchés, toujours dans le but de maximiser leurs profits. Cette course au moins-disant écologique n’est pas seulement le fait de quelques patrons sans scrupules : elle s’inscrit dans la parfaite logique des lois du capitalisme, un système basé sur la propriété privée, la compétition et la recherche du profit. L’échelle du problème est énorme. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) considère que le réchauffement climatique doit être limité à 1,5 °C afin d’éviter la catastrophe environnementale. Or, pour cela, les émissions globales de gaz à effet de serre doivent être réduites de 45 % à l’horizon 2030 et tendre vers zéro d’ici 2050. De plus, des mesures radicales doivent être prises pour juguler les conséquences de ce dérèglement, comme une reforestation massive et la construction de digues. On estime le coût de tels projets à deux mille milliards de dollars par an, soit environ 2,5 % du PIB mondial. L’avancement actuel des sciences et des technologies nous permet de lutter efficacement contre la catastrophe. La production électrique pourrait se faire de façon renouvelable, à partir de l’énergie du vent, du soleil, ou encore des marées. Les voitures et les infrastructures de transport pourraient être alimentées à l’électricité ou à l’hydrogène. Des mesures d’optimisation énergétique pourraient réduire drastiquement la consommation des ménages et de l’industrie. La pollution pourrait être fortement diminuée. La nourriture pourrait être produite dans le respect de la nature. Les déchets pourraient être recyclés. De grandes étendues de forêts pourraient être replantées. Mais ces mesures vitales nécessitent deux choses : des moyens économiques et une planification de la production – deux choses que le capitalisme est incapable de fournir. En effet, la production capitaliste se base avant tout sur la propriété privée et la compétition, en vue d’accroître les profits d’une poignée de parasites irresponsables. La planification à des fins économiques et sociales lui est complètement étrangère. De plus, d’où viendraient les moyens pour financer de telles mesures, sous le capitalisme ? L’économie mondiale est déjà criblée de dettes depuis la crise de 2008, qui a instauré une décennie d’austérité, et s’apprête à faire face à une nouvelle période de dépression suite à la pandémie. La classe dirigeante n’a pas le cœur à investir, mais plutôt à effectuer des coupes supplémentaires dans les budgets publics. La lutte contre la catastrophe climatique est bien la dernière de ses priorités. Les capitalistes n’investiront pas dans les mesures requises, car elles ne leur sont pas profitables. Au contraire, des technologies comme les énergies renouvelables, qui pourraient fournir une électricité verte, propre, en abondance et à moindre coût, vont à l’encontre de toutes les logiques du marché et de la recherche du profit. Par exemple, les subventions publiques aux énergies renouvelables ont en réalité paralysé le marché mondial de l’électricité. L’arrivée de quantités massives d’une électricité verte et à bas coût a tiré les prix vers le bas, menaçant jusqu’à la rentabilité des centrales à gaz et à charbon. L’investissement privé dans les nouvelles énergies s’est aussitôt effondré. Les ménages n’ont même pas pu profiter de cette potentielle baisse de leurs factures, puisque les aides gouvernementales ont été concentrées dans le soutien aux monopoles capitalistes de l’énergie. Autrement dit, le marché ne peut pas résoudre le problème, car le marché est le problème. Le sujet de l’investissement se réduit à cette simple question : qui paie ? La richesse existe, mais elle dort paisiblement dans les comptes bancaires des grandes entreprises, quand elle ne sert pas à renforcer l’armement destructeur des puissances impérialistes. Dix grandes entreprises américaines, par exemple, stockent à elles seules près de 1100 milliards de dollars inutilisés, tandis que les dépenses militaires mondiales s’élèvent à 1800 milliards par an. Sous le capitalisme, pourtant, ce ne sont pas seulement les conséquences du réchauffement climatique qui pèsent sur les épaules de la classe salariée, mais aussi les coûts de la lutte contre cette catastrophe, sous la forme de hausses des prix, de taxes carbone et de politiques d’austérité. Greta Thunberg, militante suédoise de 17 ans et fondatrice du collectif Fridays for Future, est devenue le visage et la voix du mouvement international de défense du climat. S’exprimant devant des parterres de dirigeants mondiaux lors du forum de Davos et des sommets de l’ONU, elle martèle l’évidence : « notre maison brûle». « Je veux que vous paniquiez », crie-t-elle aux élites qui l’écoutent. Mais ses appels à une action politique ambitieuse et immédiate tombent dans des oreilles de sourds. Cette inertie à la tête des Etats n’est pas simplement due à une absence de volonté politique. Les politiciens de l’establishment ne restent pas passifs sur ces questions en raison d’un manque de détermination, mais parce que leur but premier est de protéger le système capitaliste, avant même le futur de l’humanité. Thunberg souligne que les scientifiques sont complètement ignorés par les décideurs, et appelle les gouvernements à écouter les rapports et les conseils de climatologues. Mais les capitalistes et leurs représentants politiques n’ont que faire des arguments moraux, pas plus que de ces faits et de ces chiffres qu’ils connaissent déjà. Ils refusent simplement d’agir pour protéger la planète. La seule chose qui vaille, pour ces élites hors-sol, est de maximiser leurs profits, même aux dépens de l’humanité entière. Quelques gouvernements ont déclaré un symbolique « état d’urgence climatique », afin d’apaiser leurs électeurs. Mais cette formule est creuse tant qu’elle sort de la bouche de politiciens soumis au diktat des grandes fortunes. Après tout, sous le capitalisme, ils n’ont pas de vrai pouvoir de décision. En réalité, notre destin est abandonné tout entier aux caprices du marché. Une action mondiale est nécessaire pour résoudre cette crise mondiale, mais les gouvernements capitalistes sont impuissants. Malgré un nombre incalculable de sommets internationaux et de traités pour le climat, rien ou presque n’est fait. Les palabres débouchent sur des accords inoffensifs et inefficaces. Et même ces arrangements, pourtant bien peu contraignants, parviennent à être contournés, ou simplement ignorés. Ainsi Donald Trump a-t-il pu retirer les Etats-Unis (première économie mondiale et premier émetteur de gaz à effet de serre) de l’accord de Paris sur le climat, signé en 2015, réduisant à néant la portée de ce traité. Ce problème prend racine dans les barrières de l’Etat-nation et dans la propriété privée des moyens de production. En effet, sous le capitalisme, les gouvernements nationaux servant avant tout les intérêts de leur bourgeoisie nationale, ils ne peuvent agir collectivement. Pareils à une bande de pirates, ils ne coopèrent que temporairement, quand ils ont intérêt à piller ensemble. Mais, dès lors que le butin se réduit, ces bandits retournent à leurs luttes intestines. Dans la période actuelle, marquée par le protectionnisme et la crise économique, chaque gouvernement tente d’exporter ses problèmes loin de chez lui. Cela conduit à des politiques égoïstes de type « chacun pour soi », à une instabilité géopolitique chronique, et à l’abandon de toute forme de coopération face aux enjeux internationaux. Face à une telle impuissance, les militants pour le climat battent le pavé en masse, bloquent des rues et paralysent des villes entières afin d’attirer l’attention des politiciens. Tout autour du monde, des millions de jeunes et d’étudiants se sont engagés en politique, pour la première fois, pour réclamer des actions immédiates et un changement systémique. Ces mobilisations ont permis aux nouvelles générations de prendre conscience de leur force, de leur pouvoir et de leur détermination. Pour ces jeunes militants, l’action de masse est désormais la norme, et non plus l’exception, et les notions de grève et de lutte politique sont maintenant fermement ancrées dans leurs esprits. De nombreux militants ont compris la nécessité des mobilisations de masse. Mais il faut aussi tirer les leçons de ce mouvement, et en reconnaître les limites. Les manifestations de rue et les grèves étudiantes ne suffiront pas. Les défenseurs du climat doivent se lier avec le mouvement de la classe salariée pour obtenir, dans la lutte, un réel changement politique. L’idée d’une mobilisation de masse, d’actions militantes et la revendication d’un changement systémique représentent déjà une avancée immense, par rapport à l’activisme individualiste d’autrefois. Mais, en l’absence d’une direction clairement révolutionnaire, le spectre du vieil écologisme libéral et petit-bourgeois continue de hanter le mouvement pour le climat. Cette confusion se manifeste notamment dans l’émergence d’idées étranges et étonnantes, telles que la « décroissance » ou « l’anti-consumérisme », qui infestent et dominent le débat, et atténuent la radicalité des jeunes grévistes. Ces diverses tendances sont en fait, fondamentalement, des régurgitations des arguments réactionnaires de l’économiste Thomas Malthus, qui déclarait, au XIXesiècle, que la famine, la pauvreté et les maladies résultaient d’une « surpopulation ». Si on ne déplore plus aujourd’hui qu’il y ait « trop de bouches à nourrir », la formule revient, sous la forme « nous vivons au-dessus de nos moyens ». Autrement dit, la crise écologique serait à imputer à de mauvais comportements individuels plutôt qu’à un système pourrissant. Friedrich Engels a pourtant déjà directement répondu aux arguments de Malthus. « On ne produit pas assez, c’est là la racine du problème. Mais pourquoi ne produit-on pas assez ?», demande-t-il rhétoriquement. « Non pas que les limites de la production – même de nos jours et en l’état actuel de nos moyens – soient épuisées. Non, c’est parce que les limites de la production sont fixées par le nombre d’acheteurs potentiels plutôt que par le nombre de ventres affamés. La société bourgeoise ne veut pas produire davantage. Les ventres sans le sou, le travail impossible à exploiter pour faire du profit, et donc à acheter, sont abandonnés aux statistiques de la mortalité». Les prédictions apocalyptiques de Malthus ont été infirmées par les faits, dès lors que les progrès dans la technique agricole ont permis de subvenir aux besoins d’une part plus large de la population, et d’atteindre des niveaux nutritionnels plus importants. De même, de nos jours, les technologies permettant de produire davantage sans dégradation ni destruction de l’environnement existent déjà. Le problème demeure tel qu’Engels l’avait soulevé : le capitalisme est incapable d’utiliser ces forces pour faire du profit. Sans surprise, les défenseurs du capitalisme ont repris la rhétorique néo-malthusienne à leur compte, suggérant que nous devrions nous associer et résoudre la crise par des comportements individuels plus « éthiques » : prendre l’avion moins souvent, recycler davantage, devenir vegan… Mettre ainsi l’accent sur la responsabilité individuelle et les différents styles de vie permet à la classe dirigeante de maintenir son emprise, en détournant les personnes ordinaires de la tâche réelle qui leur incombe : transformer fondamentalement la société autour d’un programme socialiste. Les « solutions » découlant de ce mantra individualiste sont entièrement réactionnaires. Elles consistent en un simple « greenwashing » de l’austérité : c’est aux travailleurs et aux pauvres qu’il revient de serrer leurs ceintures, pour résoudre un problème créé par les capitalistes et leur système corrompu. Aux « anti-consuméristes », nous posons cette unique question : qui consomme trop ? Les millions de ménages des pays dits « développés », qui doivent choisir entre manger sainement et se loger convenablement ? Les masses des nations « en développement », qui doivent se battre pour simplement nourrir leurs familles ? Les travailleurs exploités des quatre coins du monde, qui vivent dans la pauvreté au milieu des richesses ? Les statistiques montrent qu’un membre des 1 % les plus riches de la planète rejette 175 fois plus de gaz à effet de serre qu’un membre des 10 % les plus pauvres. Et la moitié la plus pauvre de la population mondiale ne représente que 10 % des émissions globales, contre 50 % pour les 10 % les plus riches. Ces « inégalités carbone » ne sont que le reflet des violentes inégalités économiques inhérentes au capitalisme. Les travailleurs ne sont pas stupides. Ils voient bien l’hypocrisie de leurs gouvernants, qui intiment aux gens ordinaires de « faire des sacrifices » au nom de la planète. Pendant ce temps, les richissimes élites capitalistes vivent dans leur monde à part, accumulant des niveaux obscènes de fortune et se déplaçant en jets privés. C’est de cette flagrante contradiction que résultent la mobilisation des Gilets jaunes, en France, et les mouvements de masse observés récemment dans de nombreux pays autrefois colonisés, contre les coupes du FMI dans les aides à l’achat de carburant. Les marxistes doivent s’opposer à ces mesures, ainsi qu’aux prétendues « taxes carbone ». Ces taxes attaquent directement la consommation des ménages – en carburant ou en énergie – sans toucher aux profits des grandes entreprises, faisant ainsi reposer tout le fardeau sur le dos de la classe salariée. De telles taxes sont réactionnaires et rétrogrades, elles n’ont rien à voir avec l’écologie. Ce sont de simples mesures d’austérité. Nous devons nous tenir aux côtés des Gilets jaunes et réclamer que ce soient les capitalistes qui paient le prix de la crise, et non les travailleurs. Blâmer le « consumérisme » et la « croissance » est un leurre. Ce ne sont pas l’industrie et la production qui abîment l’environnement, mais la façon dont la production est organisée et contrôlée sous le capitalisme. La compétition et la course au profit privent l’économie de toute efficacité, en générant gâchis et pollution : les sociétés programment l’obsolescence de leurs produits afin d’en vendre davantage, une immense industrie de la publicité s’efforce de nous convaincre d’acheter des choses dont nous n’avons pas besoin, et des entreprises comme Volkswagen trichent activement en enfreignant les régulations écologiques, pour réduire leurs coûts et maximiser leurs profits. C’est la course aux profits, et non la croissance elle-même, qui pose problème. Nous vivons dans un système économique reposant sur la consommation constante de nouveaux produits et sur l’accumulation individuelle des richesses. Les capitalistes ne produisent pas pour répondre à des besoins, mais pour « faire de l’argent ». Ainsi, si leurs biens ne sont pas vendus, les entreprises et les industries ferment, et des millions de travailleurs perdent leurs emplois. C’est pourquoi la revendication, portée par certaines tendances du mouvement écologiste, d’une « croissance zéro » ou d’une « décroissance » est réactionnaire. « Zéro croissance » sous le capitalisme, c’est une récession : ce sera encore une fois aux travailleurs et aux plus pauvres d’en payer le prix. En somme, la « décroissance » consiste en un état d’austérité permanente. Les théories de la décroissance sont non seulement incorrectes, mais carrément nocives. L’accent doit être mis sur les conditions de la production économique et non sur la consommation et les « choix des consommateurs ». Que valent les boycotts individuels face à l’anarchie et au chaos du marché ? Nous avons besoin d’une planification rationnelle de l’économie, contrôlée démocratiquement par les travailleurs et les consommateurs, plutôt que des actions isolées de quelques « consommateurs éthiques ». Même si nous décidions collectivement de réduire notre consommation, comment serait-il possible de limiter une production entièrement possédée, contrôlée et dirigée par la classe capitaliste ? Comment réduirions-nous l’industrie de la viande ? Comment limiterions-nous la population ? Qui déciderait de quoi produire et en quelles quantités ? Il suffit de poser ces questions pour réaliser l’absurdité de l’écologisme individualiste et la nature réactionnaire de toutes les formes de malthusianisme. La crise du coronavirus a clairement montré les limites de l’approche individualiste et réactionnaire des néo-malthusiens : l’économie mondiale s’est arrêtée, les avions ont cessé de voler, les rues se sont vidées, la demande en pétrole s’est effondrée et la consommation des ménages a fortement baissé. En a résulté une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 8 %. Cependant, il faudrait qu’une telle réduction advienne tous les ans si nous voulons parvenir aux objectifs de la décennie et limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Le contenu réactionnaire de l’idéologie de la décroissance saute aux yeux. Comme le montre la paralysie due à la pandémie, des changements importants au sein du capitalisme ne peuvent avoir lieu que de façon chaotique, catastrophique, au prix d’une sévère dépression économique et d’une montée brutale du chômage, de la pauvreté et de la faim. De plus, de tels changements ne toucheraient encore que la surface du problème. Il est nécessaire d’opérer une transformation profonde, radicale, de la production – et même de toute l’organisation sociale – afin de réduire nos émissions au niveau requis. Il est vain de chercher à changer les modes de vie personnels, à réduire la consommation individuelle ou à revenir à des formes plus primitives de production dans le cadre d’une « désindustrialisation ». Nous produisons aujourd’hui suffisamment de ressources pour permettre à chaque habitant de cette planète de mener une vie décente et confortable. Si celles-ci étaient distribuées de façon rationnelle et équitable, il y en aurait suffisamment pour tous, sans besoin de produire davantage. Ce qui est nécessaire est un changement systémique, fondamental et international de notre système économique. Sous le capitalisme, les techniques et les technologies développées pour accroître la productivité se changent parfois en leur contraire en détruisant, de façon paradoxale, le potentiel de croissance. On le voit dans les progrès récents de l’agriculture, où l’usage intensif des insecticides et des fertilisants artificiels a décimé des populations d’insectes, appauvri les sols, et pollué les réserves d’eau. De façon plus générale, l’industrie et les transports, en rejetant de la pollution et des gaz à effet de serre, détruisent le milieu naturel dont dépend l’humanité tout entière. Les faits confirment ce que Marx expliquait dans Le Capital, à propos de la production agricole sous le capitalisme : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. […] La production capitaliste ne développe donc la technique […] qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ». Il ne s’agit aucunement d’un argument contre la technologie et l’industrie, pas plus que d’un plaidoyer pour la « désindustrialisation », mais d’une dénonciation de la propriété privée, de l’anarchie du marché et de la course au profit. C’est un argument en faveur de la planification socialiste : il faut mettre la science et la technologie au service des humains et de la planète plutôt que des profits de quelques-uns. En somme, c’est une question de classe. Qui possède ? Qui décide ? Puisque l’anarchie du capitalisme détruit l’environnement, il nous faut planifier – rationnellement et démocratiquement – la façon dont nous utilisons les ressources terrestres, et développer en conséquence les technologies nécessaires. Mais il est évident qu’on ne peut réellement planifier ce qu’on ne contrôle pas, et qu’on ne peut contrôler ce qu’on ne possède pas. Dans de nombreux pays, des organisations et des partis politiques libéraux ont tenté de contrôler et de récupérer le mouvement pour le climat, pour vider les manifestations et les revendications de ses militants de tout contenu radical. Des ONG comme Greenpeace ont souvent, bureaucratiquement, pris la tête de la mobilisation pour y prêcher une abstraite pluralité des discours. Même des groupes militants comme Extinction Rébellion sont tombés dans ce piège, qui consiste à dépolitiser les enjeux écologiques et à convier les politiciens de tous bords à se réunir pour en discuter. Or, le problème du dérèglement climatique est fondamentalement politique. Ce sont les capitalistes et leur système qui conduisent la planète à la ruine. Travailler avec les partis bourgeois et faire appel à des politiciens soumis aux intérêts des grandes entreprises est non seulement futile, mais dangereux : c’est le plus sûr moyen de détruire le programme du mouvement écologiste. Ces politiciens défendent les intérêts de la classe capitaliste et non ceux de la société et de l’environnement. Le mouvement ne doit placer aucun espoir et aucune confiance entre leurs mains, pas plus qu’il ne doit croire aux bonnes intentions des ONG et des libéraux, qui cherchent avant tout à atténuer la radicalité de ses revendications. Les partis verts ont connu une notable progression électorale, poussés par les préoccupations croissantes des électeurs quant aux enjeux environnementaux, et par le discrédit généralisé des partis traditionnels. Cependant, les dirigeants verts ne sont que des libéraux, incapables de combattre le système et inconscients de la division de la société en deux classes opposées. L’exemple du gouvernement de coalition autrichien entre les verts et les conservateurs est, à ce titre, révélateur. Il résulte de cet accord national un programme directement orienté contre la classe ouvrière, que l’on peut résumer par ces deux objectifs : réduire l’immigration et réduire les émissions. Le masque « progressiste » des verts est tombé, révélant la laideur de leur véritable visage. Ailleurs, toutefois, des pas importants ont été franchis pour établir une liaison entre la question environnementale et les combats politiques de la gauche. La revendication d’un Green New Deal, notamment, est devenue un cheval de bataille des gauches britannique et américaine. Au début de l’année 2019, la députée Alexandria Ocasio-Cortez a présenté une résolution à Washington, appelant le gouvernement fédéral à réduire les émissions carbone en investissant massivement dans les énergies renouvelables et la création de métiers « verts ». Le parti travailliste du Royaume-Uni est allé encore plus loin, lors de sa conférence annuelle de 2019, en adoptant une motion pour un « Socialist Green New Deal», basé sur la propriété publique et le contrôle démocratique des travailleurs sur les moyens de production. En réalité, pourtant, le Green New Deal est un slogan assez creux, que chacun peut remplir selon ses désirs. On le voit dans la grande variété des soutiens du projet d’Ocasio-Cortez, comprenant des personnalités de la droite du parti démocrate comme Biden, Buttigieg et Klobuchar. Les vagues projets de Green New Deal reposent en fait sur des tentatives keynésiennes de réguler et de diriger le système capitaliste. Mais le capitalisme ne peut pas être dirigé. Pas plus qu’on ne peut le domestiquer ni le repeindre en vert. Tant que l’économie sera basée sur la recherche du profit, les grandes fortunes dicteront leurs volontés aux gouvernements, et non l’inverse. En bref, plutôt que d’introduire un « changement systémique », les revendications keynésiennes d’un Green New Deal cherchent à sauver le capitalisme de lui-même. Une étude fréquemment citée montre que 100 grandes entreprises (principalement des producteurs de carburants fossiles) sont responsables de plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Une autre a révélé, plus récemment, que 20 sociétés avaient généré un tiers de tout le CO2 émis depuis 1965. De même, seulement 3 à 10 % des déchets produits dans les pays capitalistes avancés viennent de la consommation des ménages ; tout le reste résulte des processus industriels de production, de construction et d’extraction minière. Ces éléments soulignent l’origine réelle de la crise environnementale et démontrent clairement la solution : ces entreprises doivent devenir publiques et passer sous contrôle démocratique, dans le cadre d’une planification rationnelle et socialiste de la production. Alors, seulement, pourrons-nous bâtir une économie durable, où l’amélioration globale des conditions de vie ne se fera pas aux dépens de la protection de la planète. Entre des mains privées, les grands monopoles génèrent des niveaux obscènes de gâchis et de dommages environnementaux. Cependant, une fois nationalisés dans le cadre d’une planification socialiste, ils pourront employer des technologies modernes, durables, afin de réduire drastiquement les émissions et la pollution, en quelques années seulement, tout en permettant à tous d’accéder à une nourriture de qualité, à un logement, à un système éducatif performant, à un réseau de transports et à des services de santé gratuits. En associant les meilleurs esprits scientifiques aux diverses compétences des travailleurs, sous le contrôle démocratique de ces derniers, nous pouvons mettre les capacités technologiques de la société et ses différentes ressources au service de l’humanité et de la planète. Le plan ouvrier des ouvriers britanniques de Lucas Aerospace dans les années 1970 en montre le potentiel. Ces travailleurs de l’industrie militaire et aérospatiale dressèrent un projet détaillé, démontrant que les mêmes usines, machines et employés pourraient être réorganisés et redirigés pour produire des équipements technologiques et médicaux avancés, plutôt que des missiles et des armes. Finalement lâchés par la section locale du parti travailliste et par les dirigeants syndicaux, les ouvriers de Lucas et leur plan alternatif n’en demeurent pas moins une formidable source d’inspiration : ils ont prouvé le potentiel innovateur de la classe ouvrière, et sa capacité à planifier la production. L’exemple du plan Lucas démontre la possibilité – et la nécessité – d’une « transition climatique ». Il n’y a aucune raison pour que le passage à une industrie verte et la fermeture des usines polluantes fassent grimper le chômage. Les travailleurs peuvent être reconvertis et les usines rééquipées. Cela nécessite la propriété publique des moyens de production, le contrôle ouvrier et, plus généralement, la planification socialiste de l’économie. En effet, laisser le marché s’occuper de la mise à l’arrêt des industries obsolètes ne pourra que conduire à de nouvelles blessures pour la classe ouvrière, à l’image de la fermeture des mines au Royaume-Uni et de la désindustrialisation de la « Rust Belt» aux États-Unis. Cela souligne la nécessité de lier le mouvement écologiste aux organisations de la classe salariée. Dans certains pays, les militants pour le climat ont eu la bonne idée de s’associer aux syndicats pour obtenir leur soutien. Greta Thunberg elle-même a encouragé ce type de rapprochements, en appelant les travailleurs du monde entier à rejoindre la grève des étudiants et des lycéens. Quelques organisations ont répondu à l’appel et rejoint le mouvement de contestation. Telle est la bonne approche, car la question climatique ne touche pas seulement la jeunesse, mais l’ensemble de la classe ouvrière. Les organisations ouvrières doivent être en première ligne dans le combat contre le changement climatique. Pourtant, des groupes comme Extinction Rébellion, en concentrant leur stratégie sur l’action directe et les coups d’éclat publicitaires, se maintiennent à distance du mouvement des travailleurs. Leur but premier est de « sensibiliser » l’opinion publique en attirant l’attention des médias, par exemple en s’accrochant à des bâtiments, à des moyens de transport, ou en bloquant des routes. Ainsi, lorsqu’il s’est agi, par exemple, de forcer l’aéroport de Londres à fermer à l’aide de drones, ils n’ont même pas pensé à contacter les syndicats de l’aéroport, alors même que les employés (y compris les porteurs de bagages et les pilotes) s’apprêtaient à faire grève. Un tel mouvement coordonné aurait pu paralyser l’aéroport – ainsi que sensibiliser et encourager l’ensemble des travailleurs – plutôt que d’échouer lamentablement, comme ce fut finalement le cas du plan irresponsable d’Extinction Rébellion. Plutôt que de s’engager dans des actions frivoles et apolitiques, le mouvement pour le climat doit se baser sur la mobilisation massive des travailleurs et de la jeunesse, autour de revendications socialistes claires. Le pouvoir de la classe salariée organisée, armée d’un tel programme, serait irrépressible. Les marxistes l’ont toujours dit : pas une ampoule ne brille et pas une roue ne tourne sans la permission de la classe ouvrière. La gauche politique et sociale connaît une croissance tout autour du monde. Il faut maintenant que le militantisme et la radicalité des jeunes engagés pour le climat s’intègrent au mouvement plus large de la classe ouvrière, autour d’un programme socialiste et écologique ambitieux, capable de mobiliser l’ensemble de la jeunesse et des travailleurs. Un tel programme devrait inclure ces revendications : Nationaliser les grands monopoles de l’énergie, les entreprises produisant des carburants fossiles et leurs réseaux de transmission, sous le contrôle démocratique des travailleurs, afin d’ôter notre approvisionnement en énergie des mains des profiteurs et des barons du pétrole. Sous propriété publique, nous pourrons investir largement dans les énergies renouvelables et cesser progressivement d’utiliser des combustibles fossiles, tout en réduisant les prix pour les consommateurs. Exproprier les entreprises du bâtiment et mettre les terrains et les banques sous propriété commune. Ainsi pourrons-nous entreprendre un vaste programme public d’isolation des logements existants et bâtir des logements sociaux neufs, de haute qualité et de haute efficience énergétique. Nationaliser tous les moyens de transport collectifs : VTC, chemins de fer, métros, bus, tramways, transports aériens et maritimes. Remplacer le chaos actuel par un vaste système de transports publics gratuits, écologiques, coordonnés, intégrés et de haute qualité. Nationaliser les entreprises des secteurs automobile et aérospatial, sous le contrôle démocratique des salariés, afin d’investir dans des véhicules et des avions plus respectueux de l’environnement. Mettre toutes les ressources naturelles (la terre, les mines, les cours d’eau et les forêts) sous propriété publique et contrôle démocratique : on ne peut pas permettre au capitalisme et à l’impérialisme de continuer à ravager la planète au nom du profit. Mettre en œuvre un vaste programme de reforestation et de construction de protections contre les inondations. Chasser les grandes entreprises des universités. La recherche et le développement doivent être financés par de l’argent public, dirigés démocratiquement et orientés vers les intérêts de la société et de la planète, et non vers les profits des multinationales. Mettre en œuvre le contrôle et la gestion démocratiques des salariés dans toutes les industries nationalisées et dans les services publics. Un plan doit être élaboré par les travailleurs (sur le modèle du plan Lucas) pour mettre en œuvre la transition vers une production plus respectueuse de l’environnement. Loin d’ignorer la question de l’environnement, Marx et Engels y ont au contraire porté un grand intérêt. Leur conclusion, que nous reprenons aujourd’hui, est que mettre fin à la destruction de la nature ne sera jamais possible sous le régime de l’anarchie capitaliste. Seule une planification socialiste permettra à un développement harmonieux de l’humanité et de la nature d’advenir, comme l’explique Engels: « Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. […] Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. » Seule une transformation socialiste de la société nous permettra de satisfaire les besoins de la majorité en harmonie avec l’environnement, plutôt que de générer des profits pour une minorité parasitaire. Les sciences et les technologies capables de nous permettre de lutter contre le dérèglement climatique existent déjà. Mais, sous le capitalisme, ces forces détruisent la planète plutôt que de la sauver. Socialisme ou barbarie : telle est l’alternative qui s’offre à nous.