En fin de semaine avait lieu la douzième édition de l’École marxiste d’hiver de Montréal. Pour une deuxième année consécutive, cet événement incontournable pour les marxistes d’Amérique du Nord a dû être tenu en ligne. Malgré le caractère plus impersonnel des réunions Zoom, l’enthousiasme formidable des participants était palpable.

[Source]

De façon contradictoire, être forcés de se réunir en ligne nous aura permis d’aller rejoindre beaucoup plus de gens. Cela a permis à des gens des quatre coins du monde de participer, notamment du Zimbabwe, d’Haïti, d’Inde et d’Égypte, en plus de gros contingents d’Europe, des États-Unis et bien sûr du Canada et du Québec. Démontrant la soif d’idées révolutionnaires, un nombre record de 1191 personnes se sont inscrites.

Cette année, l’école s’est déroulée sous le thème « En défense du marxisme ». Le choix de ce thème n’était pas un hasard. Nous vivons une époque intéressante. Comme l’a expliqué Fred Weston, rédacteur en chef de Marxist.com, lors de la séance d’ouverture, le système capitaliste traverse une crise profonde qui provoque une instabilité politique et des bouleversements révolutionnaires dans le monde entier. Dans ce contexte, le marxisme, la « doctrine de la lutte des classes », comme l’a expliqué Fred, ne pourrait être plus pertinent.

Pour mener ces luttes cruciales, nous devons comprendre le monde. Comme l’a souligné Fred, le marxisme est une cristallisation de l’expérience de la classe ouvrière. Cette expérience a été durement acquise dans les luttes du passé, comme lors de la grève générale du Front commun de 1972, qui a été le sujet d’une des présentations du dimanche après-midi, donnée par notre militant Simon Berger. Ce moment charnière de l’histoire du Québec est empreint de leçons pour les révolutionnaires, dont la principale est : une révolution, ça ne s’improvise pas. Il faut tout de suite s’y préparer.

Voilà pourquoi les militants de la Tendance marxiste internationale étudient autant la théorie : pour mieux nous former en tant que révolutionnaires. Nous étudions aussi l’économie, ce qui nous permet de comprendre comment exactement les capitalistes exploitent les travailleurs. C’est ce que le militant Vincent R. Beaudoin a expliqué le samedi après-midi. Et pour ceux dont la soif d’apprentissage sur l’économie marxiste n’avait pas été satisfaite, Alex Grant, éditeur du journal Fightback, s’est penché dimanche après-midi sur la Théorie marxiste de la rente foncière. Ce sujet est particulièrement important dans le contexte de grave crise du logement que nous traversons.

Et comme marxistes, nous étudions aussi la philosophie. Comme l’a expliqué Hamid Alizadeh, éditeur du site Web In Defense of Marxism, la philosophie est cruciale pour la lutte politique, car la philosophie est notre méthode pour comprendre le monde. Dans sa présentation intitulée « Qu’est-ce que la vérité et est-il possible de la connaître », donnée le dimanche matin, Hamid a défendu la philosophie marxiste, contre la philosophie postmoderne en vogue. Il a montré comment l’approche philosophique consistant à nier l’objectivité du monde, de plus en plus populaire chez les scientifiques, tant en sciences naturelles qu’en sciences sociales, revient à nier la possibilité de comprendre le monde et donc de le transformer. Cette vision du monde a ultimement pour effet de défendre le statu quo.

Les conséquences politiques de cette vision postmoderne se retrouvent particulièrement dans la lutte contre les oppressions. Alors que le mouvement de lutte des Autochtones a éclaté au cours de l’année dernière, avoir la bonne approche de cette question devient absolument incontournable pour les révolutionnaires au Québec et au Canada. Laine Sheldon-Houle, militant de La Riposte socialiste en Alberta et membre de la première nation de Swan River, a donc expliqué comment le marxisme, qui plaide pour une lutte de classe unie, est le meilleur outil pour aider à lutter pour la libération des autochtones. Il a dénoncé la vision postmoderne des politiques identitaires, qui opposent les travailleurs autochtones aux non-autochtones, et qui jouent ainsi le jeu du diviser pour mieux régner de la classe dirigeante.

De même, dans la lutte contre le racisme en général, nous ne pouvons pas adopter la vision postmoderne en vogue dans les universités. Cette approche prend souvent la forme de la « théorie critique de la race » aux États-Unis. C’était le sujet de la présentation d’Antonio Balmer, du journal américain Socialist Revolution. Il a décrit comment la lutte contre le racisme et la brutalité policière a atteint des proportions épiques durant l’été 2020. Cela a ébranlé la classe dirigeante américaine qui essaie par tous les moyens de saper la lutte contre le racisme. La droite tente donc de soulever un tollé dans les médias contre cette fameuse « théorie critique de la race ». Cependant, si nous dénonçons les attaques racistes de la droite contre cette théorie, Antonio a également expliqué nos désaccords avec elle, et notamment que nous luttons contre le racisme avec d’autres moyens : avec l’unité de classe dans la lutte pour la révolution socialiste.

Cette unité de classe est plus importante que jamais. Les horreurs du capitalisme sont innombrables et s’accumulent. Elles peuvent être comprises à travers le prisme du concept d’aliénation, bien décrit par Karl Marx. C’était le sujet de la présentation d’Erik Demeester, des journaux belges Vonk et Révolution, donnée le lundi matin. Il a souligné comment sous le capitalisme, l’humain est aliéné dans son travail et dans ses relations sociales, aliéné de lui-même et des autres, et aliéné de la nature.

Les horreurs du capitalisme se retrouvent même dans les petites choses. Le capitalisme pénètre tous les pores de la société, et ruine tout ce qui rend la vie agréable. Même l’art et la culture dépérissent sous le capitalisme. Comme l’a expliqué, Jérôme Métellus, du journal français Révolution, dans sa présentation sur le marxisme et l’art, une révolution socialiste permettrait à l’art de fleurir de nouveau. L’humain ne vit pas que pain et d’eau, et a besoin d’art et de culture pour non seulement survivre, mais vivre. La possibilité d’analyser même la question de l’art grâce au marxisme représente un belle démonstration de la richesse de cette théorie.

Mais la théorie en soi n’est pas suffisante. Comme disait Marx, les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, ce qui importe est de le transformer. La militante Hélène Bissonnette, de La Riposte socialiste, a expliqué en plénière de conclusion les grands processus économiques, politiques et sociaux se déroulant sur la scène mondiale. L’inflation galopante, l’incapacité des gouvernements capitalistes à régler la crise sanitaire, la polarisation politique à droite et à gauche, les conflits impérialistes grandissants et les soulèvement populaires de plus en plus fréquents caractérisent notre époque. Il ne fait plus de doute que nous entrons dans une époque de révolutions et de contre-révolutions. Il faut s’attendre à des conflits de classes de plus en plus fréquents. C’est à cette lutte des classes que nous nous préparons en étudiant le marxisme.

C’est d’autant plus important qu’alors que les travailleurs cherchent une issue à la crise du capitalisme, il y a un sérieux manque de leadership pour mener la classe ouvrière dans la bonne direction. Les dirigeants des syndicats et des différents partis de gauche sont incapables de se distinguer de l’establishment détesté. Les dirigeants du mouvement ouvrier ont depuis longtemps accepté le système capitaliste et sont donc incapables de canaliser la colère croissante des travailleurs vers la transformation socialiste de la société. C’est à nous de reconstruire les traditions idéologiques de lutte, les idées marxistes qui aident la classe ouvrière à gagner dans la lutte contre le capitalisme. L’École marxiste d’hiver de Montréal de 2022 a été un grand pas dans cette direction.